Pour notre 8ème épisode du Micro d’Initiale, nous recevons Caroline Ansart, responsable de l’édition Nouvelle-Aquitaine du Journal des Entreprises. Figure influente du journalisme économique régional, Caroline Ansart a imposé sa vision et son expertise dans cet écosystème médiatique. Elle partage avec nous son parcours riche et varié, son regard sur l’évolution des médias et son engagement pour un journalisme de qualité.
Pouvez-vous détailler les différentes étapes de votre carrière qui vous ont menée à votre poste actuel de responsable d’édition du Journal des Entreprises de Nouvelle-Aquitaine ?
À l'origine, je souhaitais faire du journalisme télévisé... mais j'ai commencé à la radio avant de me retrouver dans la presse écrite (rires). J'ai débuté ma carrière aux Antilles, à Radio Caraïbes International pendant un an, puis à France Antilles, un quotidien semblable à Sud Ouest. En 2015, je m’installe à Nice et travaille pour Nice-Matin, en agence et au service « Solutions ». Cette rubrique était très novatrice pour l'époque et avait même fait l'objet d'un documentaire sur Public Sénat ! Nous étions le premier service de solutions dans la PQR en France et avions également exploré le format vidéo, presque simultanément avec Brut. Après un bref passage à Sud Ouest – où les contrats se sont succédé – j’ai rejoint le Journal des Entreprises il y a deux ans, avec la volonté de m’investir pleinement dans une rédaction et une équipe. Je m’y plais énormément
Y a-t-il des expériences ou des rencontres marquantes qui ont influencé votre parcours ?
Oui ! J'ai toujours eu besoin de travailler avec un chef pour lequel j'éprouve beaucoup d'admiration. Je me souviens de mon rédacteur en chef aux Antilles, Pascal Le Moal, qui était très direct et très franc. J’apprécie la franchise : ne pas mâcher ses mots, dire ce qui ne va pas, proposer des pistes pour améliorer un contenu ou une rubrique. Cette clarté me plaît. Il y a aussi toute mon équipe à Nice-Matin. Toutes les personnes avec qui j’ai pu travailler au cours de ma carrière m’ont inspirée d’une manière ou d’une autre.
Quelles compétences considérez-vous comme essentielles pour un journaliste aujourd'hui ?
La flexibilité ! Et l’adaptation. La presse est en crise. Quelle que soit la rédaction, nous sommes de moins en moins nombreux et devons faire autant, voire plus, avec moins. Il faut donc savoir prioriser et s’adapter aux circonstances, aux sujets, aux interlocuteurs. Il faut également être curieux et ne pas avoir de préjugés. Lorsque l'on décide de traiter un sujet, on pense y aller pour une raison... et finalement ce n’est pas le cas. Parfois, c’est tout autre chose qui s’offre à nous et se révèle plus intéressant. Il ne faut pas hésiter à changer d’angle, à redimensionner le sujet, et à le défendre auprès de sa hiérarchie (rires). C’est ce que j’aime dans ce métier : nous devons toujours écrire des choses intéressantes. Même si l’on est envoyé sur un sujet qui ne nous passionne pas, il faut trouver l’intérêt, tirer le fil. C’est ça qui fait la différence et rend l’histoire plaisante à raconter, à écrire, et à lire.
Quel rôle estimez-vous que le Journal des Entreprises joue dans l’écosystème économique de la région Nouvelle-Aquitaine ?
Il me semble que nous sommes les seuls à couvrir et à nous spécialiser dans la région en ne parlant que des entreprises. Nous parlons autant aux petites entreprises qu’aux grands groupes ! La région Nouvelle-Aquitaine, telle que nous la connaissons, est relativement récente et géographiquement colossale. Les entreprises (et nos lecteurs) des Deux-Sèvres vont peut-être découvrir des entreprises des Pyrénées-Atlantiques ! Ce que nous aimons, c’est créer des liens, faire en sorte que ces dirigeants qui partagent le même territoire se connaissent, se rencontrent et parfois collaborent. Aujourd’hui, tout le monde veut s’approvisionner ou se fournir localement, mais il faut encore connaître les acteurs du territoire. D’une certaine manière, nous contribuons à mettre en lumière ces acteurs.
Comment gérez-vous le stress et les défis quotidiens inhérents à votre rôle de responsable d’édition ?
À vrai dire, je ne ressens pas beaucoup de pression. Mon équipe est plutôt petite (composée principalement de pigistes), mais nous sommes bien organisés. Et même si j’aimerais avoir une personne pour chaque département, on s’en sort bien ! Nous avons un territoire très riche, avec des pôles très dynamiques et diversifiés : Limoges, Pau, Biarritz, Niort, Poitiers, La Rochelle, Bordeaux… même Brive ! Cela nous oblige à trier et filtrer les actualités, ce qui peut parfois être frustrant tant nous aimerions tout traiter.
Le marché des médias est en constante évolution. Comment vous adaptez-vous aux nouvelles tendances et aux attentes changeantes des lecteurs ? Quelle est la stratégie éditoriale du JDE sur les réseaux sociaux ?
Le Journal des Entreprises n’est pas des plus innovants. Et cela s’explique : nous ne sommes pas grand public, uniquement sur abonnement, et lus majoritairement par des dirigeants. Notre réseau social de prédilection est LinkedIn. Nous ne sommes ni sur Instagram, ni sur TikTok car ces plateformes ne correspondent pas à notre audience. Nous mettons en relation des dirigeants entre eux. Contrairement à Ouest France qui diversifie son lectorat en intégrant de nouvelles plateformes, notre secteur économique est moins sujet aux bouleversements médiatiques.
Nous sommes pleinement investis sur LinkedIn, où nous nous adressons aux dirigeants, chefs d'entreprises et entrepreneurs, qui utilisent aussi ce réseau social. LinkedIn est une formidable source d’informations pour nous, les journalistes. Depuis quelques années, les entreprises y parlent d’elles-mêmes, se font connaître, partagent leurs avis, organisent des événements et médiatisent ces activités. Cela nous permet de rester informés et d’apprendre des nouvelles importantes : une nouvelle présidence, un projet en cours, le lancement d’une antenne, ou encore une levée de fonds.
Quelle est votre opinion sur l'impact des réseaux sociaux, comme TikTok, sur le journalisme traditionnel ?
Nous devons sans cesse explorer de nouveaux formats. Je vous parlais tout à l’heure des vidéos pour la rubrique « Solutions » de Nice-Matin et cela bouleversait tout ce qu’on avait appris à l’école. J’ai toujours entendu que l’image racontait une histoire, on pouvait éventuellement mettre une voix dessus, mais hors de question d’ajouter du texte sur une image ! On estimait à l’époque que la concentration devait porter soit sur de la lecture, soit sur du visionnage, mais pas les deux. Et regardez aujourd’hui… TikTok, Instagram, ça nous paraît évident maintenant ! Dans un monde idéal, je pousserais ce format pour le JDE car je suis une fan de l'image. Mais nous ne sommes pas assez équipés pour cela. Autant la télévision est vouée à disparaître, autant l’image non.
Pensez-vous que l'intelligence artificielle a un rôle à jouer dans le futur du journalisme ?
Quelques médias expérimentent aujourd’hui l’IA, notamment pour extraire des brèves à partir de communiqués de presse, et je trouve cela intéressant pour gagner du temps. Il ne faut pas tourner le dos au progrès ! Cependant, il faut être prudent : on me demande parfois pourquoi je ne génère pas une série de questions via ChatGPT… mais c'est justement tout l'intérêt de mon métier ! C’est en cherchant des informations sur telle entreprise ou tel interlocuteur que je vais m’informer, sourcer, vérifier et proposer un vrai travail journalistique. Les journalistes sont là pour générer de l’information tandis que l’IA se sert de l’information pour générer des articles. C’est toute la différence !
Quels critères utilisez-vous pour évaluer les communiqués de presse et les propositions de sujets envoyés par les attachés de presse ? Y a-t-il des éléments spécifiques que vous recherchez pour décider de couvrir une histoire ?
Oh, j’ai plein de choses à dire ! De manière pratique, le titre du mail est le plus important. Nous sommes inondés de mails, nous devons absolument savoir de quoi il s'agit et quelle entreprise est concernée en un rien de temps. J’insiste également sur l’importance d’avoir des contacts presse et une section « à propos » pour fournir quelques données clés, par exemple où l’entreprise a été créée, par qui, combien de salariés la composent, le secteur d’activité, etc.
Avez-vous observé des changements dans la manière dont les attachés de presse travaillent avec les médias ces dernières années ? Comment ces changements ont-ils affecté votre approche ?
J’ai l’impression que les entreprises externalisent davantage la gestion de leurs relations presse. C’est parfois inconfortable pour les journalistes car nous posons beaucoup de questions, parfois pas aux bons interlocuteurs, et le fait de ne pas faire partie de l’entreprise empêche de répondre immédiatement. Nous demandons parfois des chiffres, des historiques, dans un délai très court et je ressens parfois les limites. En revanche, travailler avec une agence de relations presse nous permet d’avoir une multitude de propositions de sujets qui nous sont servis sur un plateau ! C’est franchement appréciable.
Quels conseils donneriez-vous aux attachés de presse pour enrichir leur relation avec les journalistes ?
Aujourd’hui, les journalistes ne peuvent plus se permettre de jouer les divas ou de prendre de haut les communicants parce que les entreprises peuvent désormais se passer des médias et communiquer sur d’autres supports. L’avènement des réseaux sociaux en est un bon exemple. En revanche, je pense toujours qu’il est important que l’information soit validée et passe par un premier filtre et canal : les médias. Il faut entretenir des relations étroites car plus on se connaît, plus on se fait confiance et plus on peut s’aiguiller. Donc amis attachés de presse, continuez, nous avons besoin de vous !
Quel livre ou article a récemment influencé votre manière de voir le journalisme ?
Les livres et articles sur l’intelligence artificielle car nous sommes dans une telle accélération du processus que j’ai besoin de comprendre, de connaître, de mesurer l’ampleur du phénomène. Nous rencontrons des entreprises qui l’utilisent, nous sommes parfois amenés nous aussi à utiliser l’IA, nous devons être au fait sur le sujet. Plus que quiconque.