Dans ce nouveau rendez-vous « Au micro d’Initiale », nous découvrons les multiples facettes du métier de journaliste indépendant, le traitement d’une actualité locale dans un quotidien national, ou encore le savant mélange de sujets économique, lifestyle ou culture dans un magazine féminin.
Claire Mayer, journaliste indépendante, correspondante pour Le Monde et rédactrice en chef de Bordeaux Madame, a en effet accepté de répondre à nos questions ! Échange à bâtons rompus avec un véritable couteau-suisse du métier…
Racontez-nous votre parcours, depuis quand êtes-vous tombée dans la marmite des médias ?
Je n’ai jamais voulu faire autre chose qu’être journaliste. Quand j’avais 14 ans, j’ai fait un stage d’observation pour « Numéro », un magazine lifestyle haut de gamme qui examine de manière pointue tous les territoires de la créativité et de la culture : mode, beauté, lieux de vie, architecture, design, pour détecter les grandes tendances de demain, les valeurs montantes et les personnalités qui deviendront icônes. J’ai beaucoup appris, tant sur la construction d’un magazine en tant que tel, que sur le chemin de fer d’un sujet, le traitement d’un angle, et ça a été une révélation. Je n’ai jamais changé d’avis, et je pense même que je serais incapable de faire autre chose aujourd’hui.
Passionnée de littérature, j’ai choisi un master « Lettres Modernes spécialisé en presse écrite » à La Sorbonne. Pour varier mes expériences, j’ai effectué plusieurs stages en journalisme, dans des rédactions différentes, et c’est comme ça que « tout a commencé ».
Une fois le master en poche, vous avez commencé en tant que pigiste ?
J’ai fait beaucoup de bénévolat (rires). C’est un métier dans lequel on doit regorger de motivation et de ténacité pour y arriver. Pour ma part, je n’ai pas fait d’école de journalisme et le droit d’entrée dans les rédactions a été plus difficile. J’ai dû faire mes preuves, montrer beaucoup de volonté et après cette période, j’ai commencé à faire quelques piges pour la revue « Caméra ». J’étais passionnée par l’univers de la photographie, jusqu’à vouloir devenir reporter de guerre ! Et j’ai très vite bifurqué dans ce secteur, couvrant les projets des photographes, les festivals, les événements, etc.
Maintenant, vous êtes journaliste indépendante, pour quel autre média aimeriez-vous particulièrement travailler ? Est-ce que Le Monde c’est le graal ?
Oui, Le Monde, c’est le graal. Je pense que c’est le seul média qui m’a suivie toute ma vie et qui m’a toujours passionnée. La rédaction du Monde a une façon de travailler très exigeante, c’est formateur et vraiment enrichissant. La barre est mise très haute au niveau de notre travail et je ne pourrais pas rêver mieux ! Petit coup de cœur aussi pour le magazine Society, qui a été mon média chouchou pendant le confinement. Society traite l’actualité de manière décalée, accessible. Je pense par exemple à un dossier sur le championnat du monde de Docteur Maboule, organisé depuis 3 ans. On lit des sujets de société qui racontent aussi quelque chose sur la société, et c’est ce qui m’intéresse !
Vous êtes correspondante pour Le Monde depuis 5 ans, comment avez-vous intégré la rédaction ?
Pour la petite histoire, j’étais enceinte de 7 mois quand j’ai su que le poste de correspondant était accessible. J’ai tout de suite candidaté et quelques semaines plus tard, je couvrais les premiers événements autour des bassines à Mauzé-sur-le-Mignon dans les Deux-Sèvres.
Après avoir été journaliste chez Bordeaux Madame, vous prenez la tête de la rédaction cette année. Qu’est-ce que vous aimez particulièrement dans ce rôle ?
J’avais déjà eu un poste de rédactrice en chef à Paris pour le magazine « Actu Photo » et ça m’avait beaucoup plu ! Ce que j’aime, c’est le rapport aux gens car le lien avec les équipes est très fort. Et puis il y a aussi toute la construction rédactionnelle d’un magazine, la façon dont on le fait évoluer, ça me passionne, c’est un mélange de stress et d’excitation.
Dans quelle mesure êtes-vous amenée à travailler avec des attachés de presse dans la construction de vos sujets ?
Les attachés de presse, ce sont nos yeux et nos oreilles. C’est un véritable lien entre l’actualité et un article ! Autant sur l’organisation d’interviews avec le bon interlocuteur, à la bonne date, que sur la synthèse du sujet, ce sont des facilitateurs qui nous aident beaucoup.
Être correspondante en région implique de toucher à tous les sujets, est-ce passionnant ?
Oui ! À la différence d’un journaliste éco spécialisé en aérospatial, j’ai une belle variété de sujets. Dans la même semaine, je peux m’intéresser à la politique menée par la ville de Bordeaux que par un évènement culturel à l’Opéra. C’est à la fois intellectuellement stimulant que difficile car il faut s’intéresser à tout et être calé sur un maximum de sujets.
Comment percevez-vous, en tant que journaliste, cette nouvelle façon de consommer les médias sur les réseaux sociaux (Instagram, TikTok...) ?
Je ne vais pas jeter des fleurs au Monde… quoiqu’en fait si ! À la rédaction, il y a un studio dédié pour produire du contenu sur ces plateformes. Nous sommes obligés de nous adapter, tant sur le format que sur le contenu. Cependant, il faut faire attention et ne pas être tenté par l’immédiateté, sans recul sur la situation, sans poser le contexte, sans avoir toutes les informations nécessaires à la transmission d’un sujet aux yeux de tous et à un public varié et parfois très jeune. La boulimie d’information c’est bien, mais il faut en retenir quelque chose. Quand un sujet nous interpelle, il faut aller plus loin, lire plusieurs supports, se poser des questions, nourrir notre curiosité. Finalement, l’actualité sur les réseaux sociaux c’est un peu comme une accroche, une bande-annonce, mais il est nécessaire d’aller plus loin et de ne pas retenir qu’un titre ou une bribe d’info.
Quelle est la Une qui vous a marquée récemment ?
Les différentes Unes sur les incidents à Saint-Soline m’ont beaucoup marquée. Les images révélaient beaucoup de violence. Je suis souvent amenée à travailler avec des photographes sur le terrain, et tous ont été choqués de ce qu’ils ont vu, vécu et capturé. Ce déchaînement de violence m’inquiète beaucoup, ayant couvert quelques manifestations sur la réforme des retraites, je suis au fait et alarmée.
Est-ce difficile de concilier une actualité chaude, voir bouillante (ex : la réforme des retraites) avec d’autres actualités plus locales ou plus grand public mais qui sont tout aussi importantes ?
C’est notre métier d’être sur tous les fronts. Ce n’est pas difficile, c’est plutôt une question d’organisation. Nous nous devons d’être polyvalents, c’est-à-dire mobilisés sur l’actualité, mais aussi prendre le temps de traiter des sujets au long cours. C’est passionnant, challengeant et stimulant !
Quel est le dernier sujet que vous avez écrit et qui vous a passionnée ?
J’ai adoré travailler sur l’actualité de l’immeuble Le Signal à Soulac, symbole de l’érosion marine sur la façade atlantique, et qui a vu la fin de son périple judiciaire début février. J’ai beaucoup aimé travailler sur ce sujet parce qu’il est le reflet de la société, sur les problématiques environnementales notamment, mais aussi parce que c’était très émouvant de parler avec les habitants qui avaient un fort attachement pour ce lieu.