Pour la première fois cette année, l’Agence était présente au Festival International de Journalisme de Couthures-sur-Garonne, du 12 au 14 juillet dernier. L’objectif de ce rendez-vous ? Interroger, loin des rédactions parisiennes, la place de la presse dans notre quotidien. Analyser le traitement médiatique des grands enjeux qui traversent le débat contemporain (l’écologie, le genre, la géopolitique, les mobilisations sociales). Expliquer cette défiance de plus en plus vivace entre les Français et leurs journalistes. Et tenter d’imaginer des solutions dans un environnement décontracté. Eh bien, promesse tenue !
En short et tongs, bière dans une main, éventail dans l’autre, nous avons déambulé dans les rues pavées de Couthures-sur-Garonne, petite bourgade de 340 âmes selon l’INSEE. Entre une conférence et un atelier, un concours d’éloquence et un speed-dating avec des journalistes, on a débattu avec Audrey Pulvar, Claude Askolovitch, Najat Vallaud-Belkacem, Cécile Duflot ou encore David Dufresne. Car à Couthures-sur-Garonne, tout le monde a droit à la parole et tout le monde se promène avec le même fumet de barbecue dans les cheveux. Cette volonté d’écouter le public s’illustre dans chacune des tables rondes, avec un climax pour celle de clôture : les festivaliers se passent le micro et émettent leurs critiques, scrupuleusement retranscrites par un journaliste de Télérama sur le paperboard planté sur l’estrade.
Une scène d’auto-flagellation ? Non. Plutôt une tentative de dresser le bilan des dysfonctionnements entre la presse et la population. Alors certes, ce public n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler la population. Au fond, il s’agit peut-être plus d’un rassemblement de bobos venus se faire plaisir, qui entretiennent déjà un rapport de près ou de loin avec le monde médiatique. Mais au-delà de ce constat, nous avons assisté le temps d’un week-end en terre Lot-et-Garonnaise à la sincère remise en question de toute une profession.
Journalistes, comment en finir avec l’entre-soi ?
La conférence la plus marquante, « Journalistes, comment en finir avec l’entre-soi ? », aurait pu être l’un des fils rouges de l’événement. Elle a été introduite par Isabelle Roberts, cofondatrice du média web Les Jours, qui a rappelé trois faits d’actualité ayant précisément révélé cet entre-soi journalistique : le Brexit, l’élection de Trump et la mobilisation des Gilets Jaunes. « Les médias n’ont pas vu venir ces trois événements et c’est inquiétant. Il faut revenir au terrain, base du métier », a-t-elle résumé.
Résultat : « Les médias deviennent une marchandise qui se frelate », a averti David Dufresne, journaliste indépendant et fondateur d’Allô Place Beauvau. L’idée même de contre-pouvoir a tendance à disparaître au profit de l’accompagnement du pouvoir ». Le lanceur d’alerte a pointé du doigt l’emploi connoté du mot « crise » par les journalistes, au lieu de « mouvement » pour décrire les mobilisations des Gilets Jaunes. « Un vocable péjoratif en accord avec la perception du pouvoir puisque la crise perturbe l’ordre ».
Côté BFM, la chaîne la plus décriée dans cette période, on exclut toute forme de complaisance avec le pouvoir. Céline Pigalle, directrice de la rédaction, a en revanche reconnu qu’il aura fallu un mois pour parler des violences policières à l’antenne. Alors, les médias nationaux sont-ils enfermés dans une tour d’ivoire, un entre-soi nocif qui fragilise leur légitimé ? Voici pêle-mêle quelques pistes évoquées pour pallier ce risque :
- Introduire de la diversité au sein même de la profession
« Demandons-nous pourquoi les rédactions ne recrutent que des diplômés de grandes écoles de journalisme », a déclaré Violette Voldoire, Co-fondatrice et co-rédactrice en cheffe de Radio Parleur. Selon cette dernière, ce phénomène favorise l’entre-soi puisque le manque de diversité des promo étudiantes se retrouve ensuite dans les rédactions. Violette Voldoire propose de repenser leur organisation afin de les rendre plus horizontales : en créant des espaces qui incluent les diplômés et les non-diplômés sans favoriser les uns au profit des autres, ou encore en faisant tourner les rédactions en chef. - Sortir de Paris
« Comment parler des difficultés du monde rural, de l’injustice sociale en banlieue, quand on ne passe que trop rarement le périph parisien ? », a justement interrogé un festivalier. Florence Aubenas, grand reporter, a reconnu à son grand regret « qu’il est plus simple de réaliser des reportages dans des villes reliées à Paris par le TGV que de prendre des routes tortueuses vers Couthures-sur-Garonne ». - Donner plus de moyens à la presse locale
La presse locale et régionale, pourtant en difficulté, restent les leviers les plus efficaces pour relayer les situations du terrain. Elles bénéficient d’un capital confiance supérieur aux rédactions nationales et continuent de se réinventer pour être au plus proche des lecteurs. « Depuis qu’elle est devenue une coopérative, la rédaction de Nice-Matin fait voter ses lecteurs sur le choix des sujets… et compte 9 fois plus d’abonnés qu’avant ! » a expliqué Anne-Sophie Novel, journaliste et réalisatrice du documentaire Le Monde, les médias et moi. - Sortir de son pré carré
Au-delà du décalage Paris-Province, pour David Dufresne, il faut savoir faire des allers-retours au sein même du métier. Alors rédac chef sur la chaîne itélé, il opérait souvent un mercato interne en demandant à un journaliste du sport de couvrir la politique, et vice-versa. « Il faut veiller à sortir de sa spécialité pour garder un œil neuf. L’idéal, c’est même d’arrêter le journalisme et d’y revenir, de faire des allers-retours pour garder un pied dans la vraie vie ». - Mener ses propres enquêtes
« Arrêtons de nous citer, de regarder ce que fait le journal d’à côté. Le panurgisme des rédactions est parfois affligeant, a-t-il poursuivi en donnant un exemple marquant : La rédac de Libé n’a jamais été aussi bonne que lorsque l’AFP était en grève ». - Être au plus près des gens
Selon Isabelle Roberts, lors d’un événement politique, les journalistes doivent refuser de couvrir l’information depuis « le pool », le carré VIP des journalistes. Elle préconise à ses confrères de se placer parmi les militants, et d’observer les choses de leur point de vue, plutôt que de celui « qu’on a pensé pour vous ». - Pour les lecteurs : se faire entendre !
Selon Violette Voldoire, le public détient lui aussi un pouvoir pour contraindre les journalistes à sortir de cet entre-soi. "Les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs français n'interpellent pas assez les rédactions - contrairement à l'Allemagne et l'Angleterre".
Ce temps fort, réflexif et passionnant, nous a amenés à nous interroger sur notre propre rapport (addictif) aux médias. Nous nous sommes promis d’explorer de nouvelles formes de récits journalistiques en soutenant les derniers titres de presse en kiosque, les radios associatives, les pure players du web qui racontent l’info de manière différente, sur un temps plus long, en prise avec le terrain. Une démarche de curiosité et d’exhaustivité inhérente à notre métier. Car rappelons-nous d’un principe : un journaliste, aussi volontaire soit-il, ne pourra jamais faire preuve d’une parfaite objectivité. C’est au lecteur d’y tendre, en multipliant la lecture… de ses différentes sources !